Opéra de Montréal: Madama Butterfly ne vieillit pas


Madama Butterfly - Opéra de Montréal - Puccini

Vous trouverez peut-être le titre de cet article bien paradoxal et je ne vous en tiendrai pas rigueur. Après tout, n’est-ce pas ce qu’on nous rabâche sans cesse en ce qui concerne l’opéra? Que les histoires sont dépassées, que certaines choses ne passent plus en 2023, que les personnages féminins ne passeraient pas le test Bechdel, et patati et patata?

Permettez-moi de vous apporter une autre perspective, qui est la mienne. En effet, j’ai eu la chance d’être invitée à la représentation de Madama Butterfly à l’Opéra de Montréal cette semaine et j’ai complètement redécouvert cet opéra, que j’avais pourtant déjà vu maintes fois.

Madama Butterfly - Opéra de Montréal - Puccini
Crédit photo: Vivien Gaumand
Joyce El Khoury en Cio-Cio San et Matthew White en Pinkerton

Mais avant de me lancer dans le vif du sujet, revenons une vingtaine d’années en arrières, lors de ma première représentation de cette oeuvre. J’étais encore une adolescente et, bien que même à l’époque, je trouvais déjà le personnage de Pinkerton absolument abjecte, j’avais très peu de patience pour celui de Butterfly. Je la trouvais…nounoune et je la jugeais du haut de toutes mes grandes années d’expérience d’être tombées dans le piège du beau tombeur de Pinkerton. But more on that later!

Madama Butterfly - Opéra de Montréal - Puccini
Crédit photo: Vivien Gaumand
Joyce El Khoury en Cio-Cio San ou Madama Butterfly

Un tournant de siècle s’ouvrant vers le monde

Le mouvement artistique du «verismo», qui veut dire réalisme en français et dans lequel Butterfly s’inscrit, est né en Italie à la fin du 19ème siècle en réponse au mouvement littéraire naturaliste des auteurs français tels que Zola et Maupassant.

Ayant au départ pour sujets de prédilection la condition humaine au temps de la Belle Époque, les oeuvres lyriques du «verismo» se sont également intéressées à des histoires ayant comme toile de fond des lieux considérés alors comme étant «exotiques».

Madama Butterfly - Opéra de Montréal - Puccini
Crédit photo: Vivien Gaumand

Bien que l’on puisse critiquer pour bien des raisons la perception parfois ethnocentriste de ces auteurs et compositeurs, il n’en demeure pas moins que cet intérêt envers l’Autre, qu’il provienne de la classe ouvrière comme dans La Bohème, ou d’un pays jusqu’alors méconnu de l’Occident comme dans Turandot, constituait en soit une véritable révolution culturelle.

Place à la musique

Parlons maintenant de la magnifique partition de Giacomo Puccini, devant laquelle même les critiques les plus amères de cette oeuvre ne peuvent s’empêcher de s’incliner. Butterfly est certainement l’un des opéras les plus connus de Puccini et l’un des canons opératique tout court.

Et pour cause! La musique y est à la fois sublime (on pense au fameux air «Un bel dì vedremo», chanté par Butterfly, qui incorpore des éléments de la gamme Yo, omniprésente dans la musique traditionnelle japonaise), et à la fois très expressive (on s’éloigne du beau son pour du beau son caractérisant le Bel Canto et la ligne vocale imite les sons parlés et les exclamations de la vie quotidienne).

Madama Butterfly - Opéra de Montréal - Puccini
Crédit photo: Vivien Gaumand
Joyce El Khoury en Cio-Cio San et Matthew White en Pinkerton

Une distribution qui assure

Madama Butterfly est un opéra particulièrement exigeant sur le plan vocal, tant pour Cio-Cio San, a.k.a. Butterfly, que pour Pinkerton, de par son orchestration assez robuste.

En ce sens, tan Matthew White, qui campe un Américain colonialiste des plus détestables, que Joyce El Khoury, touchante Butterfly, relève le défi! La voix de White est claire et il a définitivement le physique du fach.

JMadama Butterfly - Opéra de Montréal - Puccini
Crédit photo: Vivien Gaumand
Matthew White en Lieutenant Pinkerton

El Khoury, quant à elle, joue avec une subtile palette de couleurs vocales et est absolument bouleversante dans les moments les plus dramatiques de Cio-Cio San. D’ailleurs, chose que je n’avais jamais faite avant lors de l’écoute de Madama Butterfly, j’ai même versé quelques larmes quand elle a chanté «Un bel dì»!

Pour ce qui est des autres personnages, j’ai trouvé Hugo Laporte excellent en Sharpless, et Lauren Segal en Suzuki tout autant.

Madama Butterfly - Opéra de Montréal - Puccini
Crédit photo: Vivien Gaumand
Joyce El Khoury en Cio-Cio San, Matthew White en Pinkerton et Hugo Laporte en Sharpless

L’opéra: un art universel

C’est en revoyant cet opéra aux personnages que j’avais jadis jugé raisonnable de…juger que j’ai eu une révélation. L’opéra, cet art total, traite de thèmes universels qui nous font réfléchir de façon philosophique au sens de la vie et notre lecture de ses histoires change à mesure que l’on évolue en tant qu’être humain.

In hindsight, Cio-Cio San, dont j’avais quasiment le même âge, me renvoyait en quelque sorte mon propre reflet. Ne sommes-nous pas plus intolérants des gens dont les «défauts» ressemblent aux nôtres? En vieillissant, je n’ai que de la compassion pour cette jeune fille au coeur si pur qui donne tout son amour à quelqu’un qui, au final, la voit comme un jouet dont il pourra disposer quand il retournera en Amérique.

Madama Butterfly - Opéra de Montréal - Puccini
Crédit photo: Vivien Gaumand
Joyce El Khoury en Madama Butterfly

Je ne peux que trop vous recommander d’aller voir Madama Butterfly à l’opéra de Montréal. Il reste encore quelques billets pour la représentation du 16 mai; faites vite!

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